JORGE ENRIQUE

When the light appears – 2022

Pour sa nouvelle exposition personnelle à la galerie, l’artiste cubain-américain Jorge Enrique propose un ensemble d’œuvres inédit librement inspiré par les végétaux : une dizaine d’oeuvre peintes sur papier japonais Yupo sont présentées ainsi que leur version NFT.

Le titre When the light appears est emprunté au poème du même nom d’Allen Ginsberg, écrivain de la Beat Generation et inspiration littéraire majeure pour l’artiste.
Durant de nombreux mois, Jorge Enrique a vécu en autarcie dans son atelier entouré d’une luxuriante végétation, notamment de fleurs, typique du climat tropical de la Floride. Il s’est également questionné sur leur nature profonde au-delà de leur seule beauté.
Au bout d’un certain temps, le jardin est métaphoriquement devenu la porte d’entrée de son propre jardin intérieur, un lieu d’esprit où la forme prend place, se déploie et se manifeste à partir d’un lieu de pure pensée.

L’artiste se plaît à citer Barnett Newman, qui a eu une forte résonance dans sa pratique avec notamment cette citation extraite de The sublime is now paru en 1948 : « Nous nous émancipons des infirmités de la mémoire, de la filiation, de la nostalgie, de la légende, du mythe, ou de ce qu’on voudra ayant pu constituer un procédé propre à la peinture occidentale européenne. Au lieu de bâtir des cathédrales à partir du Christ, de l’homme ou de la “vie”, nous bâtissons à partir de nous-mêmes, de nos propres sentiments. L’image que nous produisons est celle, d’elle-même évidente, de la révélation, réelle et concrète, intelligible par quiconque la considérera sans les nostalgiques bésicles de l’histoire. »


Artist statement

Redacted – 2019

« La rédaction est une forme d’édition dans laquelle plusieurs textes sont combinés et modifiés pour ne former qu’un seul document. Souvent il s’agit d’une méthode de collecte d’une série d’écrits sur un thème similaire et de création d’un travail définitif et cohérent. »

-Wikipédia-

 » Every something is an echo of nothing « 

-John Cage-

« Avec cette nouvelle série, j’explore ma compréhension de ce que doit être et ce que dois faire une peinture. Qu’est ce que cela doit représenter et pourquoi ? Ces questions sont centrales dans mon travail.
Ici, je réduit toute forme de connaissance qui a régit mon travail dans les trente dernières années à sa forme la plus primaire.
Direct dans la forme, imprégnée d’expériences passées tout en admirant les couleurs de ma réalité actuelle.
Aucune excuse dans cette abstraction.
Simple et brut, mystérieux et pourtant facilement accessible grâce à sa beauté.
Dans ces peintures, aucune intention de disséquer la nature ou même de la représenter. C’est plutôt une approche sérieuse de la manifestation de la nature entre les mains de l’artiste comme un facteur de processus de création. »

Jorge Enrique
Miami, octobre 2019


Urban D-Construction – 2009-2011

Dans cette série, les images résultant d’un ordre nouveau obtenu en juxtaposant les flashes de mon réalité visuelle quotidienne  –  les marques et les paysages urbains qui m’entourent.
J’ai sillonné les rues du quartier de Wynwood et pris des empreintes directement sur place. Une fois rentré dans mon atelier, je les ai déchires et ré-assemblées, dans la recherche d’un nouveau sens, d’une nouvelle compréhension.

Déconstruire ces images m’a mené vers un nouvel ordre visuel, un territoire à explorer, comme les fondations d’une nouvelle maison.

Chromatiquement, je poursuis mon cycle, avec une palette très contrôlée, faite de peu de couleurs aux tonalités très riches.

Ici, la narration se révèle comme une série de bandes d’informations, un film fait de ces milliers de bouts d’images, de données et d’objets qui nous entourent et que nous devons traiter puis classer. Voilà qui nous parle de notre temps, des lieux que nous habitons et nous invite à considérer notre environnement dans une approche radicalement nouvelle.

Jore Enrique
Miami, Juillet 2009


Point de vue

“La machine n’isole pas l’homme des grands problèmes de la nature
mais le plonge plus profondément en eux.”
Antoine de Saint-Exupéry in Terre des Hommes, 1939

Rendre compte des différentes activités du monde urbain, spécialement tout le banal ou le répétitif de la culture contemporaine (de la position de son corps au détail de sa coiffure ou de l’emplacement de son nom sur la feuille de salaire), est un thème récurrent dans les arts plastiques. Dans ce domaine, des changements radicaux sont apparus au cours du siècle dernier depuis les « ready-made » de Marcel Duchamp à la reconnaissance officielle de la photographie comme médium esthétique probant. Les artistes ont injecté les éléments du quotidien dans leur travail au-delà même de la critique ou de la simple observation. Jorge Enrique, dans trois séries récentes, « Numbers », « Urban D Construction » et « Low Ride », expérimente la confrontation de formes archaïques de la culture (totems, substances pétrifiées) avec tous les symboles de notre jungle urbaine (fibre de verre, acier et autres matériaux manufacturés).
Enrique est né à La Havane en 1960 et a débuté ses études à l’ Alfred GlasselSchool of Art de Houston (Texas) en 1991. Ses premières expositions, à Houston et Miami où il est installé, étaient consacrées à des compositions où la couleur, brute, s’exprimait à travers des tableaux très influencés par l’abstraction géométrique. En trois décennies de recherches et d’expérimentations des différents formats de création (sculpture, installation ou simples châssis accrochés aux murs), Enrique a bousculé les frontières de la représentation traditionnelle. Il s’agit, selon lui, de «déchirer le voile de la culture urbaine» pour, littéralement, se mettre au niveau de la rue.
Ironiquement, la volonté humaine de rationaliser au maximum le chaos de son environnement (avec probablement comme point de départ l’invention de la mathématique et des nombres) aboutit à un processus souvent plein de surcharge sensorielle. Dans sa série « Numbers », Enrique exploite cette distorsion dans la matière même de ses oeuvres (fresque et accumulation de couches de couleurs creusées à même le bois) particulièrement avec ses totems, envahis par une matrice abstraite de nombres, comme une coulée venue d’ailleurs.
La série « Urban D-Construction » (2009-11) a comme point de départ des photographies réalisées comme un reportage, de plaques d’égouts, d’asphalte, de déformations de trottoirs et de chaussées avec une palette de couleurs singulière allant des traces de bennes à ordures au glissement de rideaux de fer sur les sols d’entrepôts ou de garages.
Transformées en sérigraphies et emprisonnées par la résine, elles combinent les traces du milieu urbain et l’écho lointain des rues et de leurs occupants. Ces oeuvres, coulées dans la laque conservatrice, vibrent de ce mélange des couleurs : celles de la peinture et celles de la rue.
Après « Urban D-Construction », la série « Low Ride » se veut comme un pont tangible entre le Conceptuel, le Pop et l’Art Installatoire.
Cette « bizarrerie » culturelle, issue du monde automobile, communément baptisée « Low Riding » a ses origines dans les voitures customisées de la fin des années 60, quand le système de production industrielle de marques comme Ford, GM et Buick s’est développé. La fin des années 70 a donc vu l’apparition d’incroyables bolides, avec des suspensions hydrauliques insensées et manipulables par une simple chiquenaude technique !
Au sein de cette culture des « Low Riders » qui s’est essentiellement développée dans les communautés chicano et,dans une moindre mesure, américaine d’origine asiatique, chaque voiture en porte les stigmates sociaux avec son style particulier de musique, de mode et d’art visuel. Jorge Enrique place les curseurs esthétiques de ces sous-cultures propre au paysage urbain de Miami, dans une réappropriation subtile des mêmes procédés de peinture.
L’aspect quasi organique des « sphères » qu’il dispose sur des plaques en fibre de verre peintes et métallisées semble évoquer des organes face à des sous-produits très manufacturés. Si la culture « Low Rider » peut être étrangère à la plupart des gens (à l’exception des concours de tee-shirts mouillés ou de bikinis, des barbecues et autres concours de danse…) les éléments industriels et la forme des oeuvres dépassent largement ses limites pour contribuer à la réflexion sur le design automobile international. Comme dans ses séries antérieures, la série « Low Ride » entretient un dialogue continu entre le monde naturel et le monde technologique, d’une manière qui conserve en permanence l’ambiguïté de sa propre genèse critique. Il est clair que ces oeuvres sont produites avec la précision d’une machine sans aucun lien avec des éléments naturels. Pourtant, cette question de la « subjectivité » de l’aspect mécanique des choses reste
un point essentiel du travail d’Enrique.
Au siècle dernier, les artistes célébrés sur l’autel de l’art moderne (Marcel Duchamp, Jasper Johns, Yves Klein, Joseph Beuys, Matthew Barney et Rebecca Horn…) ont expérimenté le « sensible » avec un nombre incalculable de méthodes et d’approches critiques, particulièrement après les guerres mondiales. En se concentrant sur le rapport entre technologie et sous-cultures urbaines, Jorge Enrique nous donne une autre perspective sur le vertige engendré par ce rapport Homme/Machine. Ainsi, du rythme effréné mathématiquement mis en mouvement dans les totems de la série «Numbers», à la confrontation au monde de la rue et à ses « stigmates » avec « Urban D-construction», il franchit une nouvelle étape avec « Low Ride » en irradiant son travail d’une sous-culture typiquement américaine.
L’évolution artistique de Jorge Enrique s’attache à la fois à une pratique nourrie des mouvements artistiques contemporains et par une narration qui s’ancre dans sa propre expérience et ses influences sociales.
Des nombres, des machines, la rue: le tout, en couleur.

Shana Beth Mason
Université de Glasgow (Christie’s Education, Londres)
Mars 2011