Wawô, les bleus de l’âme
« Avec une économie de moyen, quelques traits de crayon et des pièces de tissus, Ange Arthur Koua dresse une galerie de portraits habités par les wawô (âme) des textiles imprégnés de l’esprit et du passé des personnes qui les ont portés, selon sa culture Akan. « Lorsque j’utilise les vêtements de plusieurs personnes dans une création, l’histoire et le vécu de ces personnes restent imprégnés dans mes œuvres ». Si ces vies passées ne nous sont pas dévoilées, elles existent comme rémanence invisible, laquelle procure une aura à ces hommes (Bian wawô), femmes (Blah wawô) et personnes non genrées (Blah-Bian wawô) qu’il nous livre.
Les bleus de l’âme en référence au blue jeans, matériau de prédilection de l’artiste, porté par tous sans distinction de classe, d’âge ou genre, renvoient aussi aux maux de la vie dont nul n’est épargné. Assez fréquente chez l’artiste, l’utilisation de la toile de jute symbolise les richesses des matières premières de Côte d’Ivoire, notamment le cacao. Associée à la figure humaine, ce conditionnement évoque la marchandisation des personnes, en particulier de la femme.
De petits détails viennent éclairer le genre, la position sociale ou le caractère de ces anonymes, telle la bouche cousue chez la femme qui signifie qu’elle ne peut pas s’exprimer. Contrairement à la femme maquillée à la bouche rouge pulpeuse qui s’assume, sûre d’elle. La présence d’une poche indique qu’une femme a su adopter une attitude discrète, pour ne pas se faire remarquer.
Lorsque la bouche d’un homme se présente sous la forme d’une braguette ouverte, cela signifie son droit à la parole. « Mais une braguette étant destinée à être fermée, l’homme a intérêt ne pas ouvrir sa bouche », explicite l’artiste. L’un porte le chapeau, tel un patriarche. Une importante pièce de textile marron, couleur de peau des Africains, incarne le visage d’un autre, pour revendiquer son africanité. Des poils aux mentons sont un signe de virilité.
Chez les personnes non genrées, un croisillon au niveau des yeux rappelle qu’affirmer son appartenance à ce groupe qui n’est pas reconnu dans le pays, peut leur valoir d’être emprisonné. Le cache-yeux en général désigne une personne dont la nature ou la culture est réprimée ou invisibilisée. Deux morceaux de blue jeans inversés soulignent l’ambivalence de ces individus souvent incompris. »
Armelle Malvoisin
Journaliste et commissaire d’exposition
Paris, avril 2023