Le projet nada est une réflexion sur l’utilisation du mot et le déferlement des messages publicitaires dans nos sociétés contemporaines.
Nous sommes entourés de mots, dans tout notre quotidien. Messages sur les panneaux publicitaires, les murs, les façades, les fenêtres, les sacs, les bus, le métro, les camions, les routes, sur les terrains vagues, à la télévision, dans les journaux …ce flux permanent nous porte à un degré de saturation où les mots finissent par se vider de leur sens.
D’ordinaire, nous percevons les informations avec nos cinq sens. Pour autant, je pense que nous sommes devenus imperméables aux stimuli vides tant les mots envahissent notre espace public. Celui-ci est devenu un lieu de marché, provoquant une contamination visuelle sans précédent. Je me suis aperçu qu’il est quasiment impossible de trouver un espace vide de tout message. Les mots ne sont plus le moyen de nous transporter dans une sphère de pensée et réflexion et se perdent dans le grand vide communicationnel de la publicité.
L’évidence de ce nada est récurrente, de Barcelone à Pékin et de Mexico au Caire. Et je constate que, même si les contours de la problématique peuvent varier, la réalité tangible reste toujours la même. Les besoins sont devenus globaux et stéréotypés, malgré des spécificités régionales parfois criantes.
Avec ce projet, j’ai exploré ce territoire de « la vacuité du mot ». J’ai cherché à illustrer clairement et froidement le vide conceptuel dans lequel nous évoluons. Le nada apparaît constamment, pas seulement pour exprimer le vide et la non-existence mais aussi pour emplir de sa présence notre environnement visuel. Ainsi, il cherche à ouvrir un axe de réflexion ; sortant du silence, il est un cri vers plus de questionnement. Quelle sera notre réaction face à la prise de conscience de ce nada? Son message, bien que vide, en principe, vise à une reconsidération urgente de notre coexistence avec les mots.
AleixPlademunt
Barcelone, 2008
Les deux séries – Espacioscomunes et Espactadores appartiennent à un projet vital questionnant le rapport de l’homme à l’espace.
J’essaie d’analyser notre capacité à détruire comme à modifier notre environnement radicalement, agressivement ou tout discrètement. L’être humain crée et adapte, change et transforme, intervient, manipule, pervertit le milieu naturel au gré de ses besoins et de ses intérêts. L’homme meurtrit un lieu, une zone géographique pour satisfaire des besoins déterminés et éphémères. Le paysage humanisé devient immanquablement un paysage modifié.
Je m’intéresse à l’immensité des espaces et leur magnificence. La nature nous environne et l’homme n’a de cesse de l’abîmer. Il ne reste plus d’espace vierge : aussi loin que nous puissions regarder, les paysages portent toujours une trace du passage humain. L’homme crée en permanence de nouveaux matériaux, compulsivement, oubliant leur devenir obsolète quasi-immédiat pour assouvir une soif intangible de progrès.
Routes et chemins, habitats, villes, voies de communication, de distribution énergétique… une liste sans fin et en constante croissance d’éléments éphémères. L’abandon est impliqué dans tout processus de création. La plupart de ces objets seront oubliés, bien que nous cernant toujours, à l’instar de cette camionnette à 4000 mètres au-dessus du niveau de la mer et sans aucune trace humaine à 200 km à la ronde. Le monde est devenu son propre cimetière.
Le paysage est notre langue maternelle. Notre premier moyen de communication, avant les premiers signes et les symboles. La langue du paysage peut être lue, parlée, écoutée, imaginée même. Tout ce que nous générons dans le paysage parle de nous, nous raconte. Le site archéologique de Palenque (Mexique) décrit une société qui a disparu il y a des millénaires de même que nos routes, nos immeubles, les câbles électriques abandonnés, les déchets nucléaires et les matériaux non-recyclés décriront un jour notre génération.
Cette sélection photographique narre les subtilités, dans toutes leurs nuances, de l’intervention humaine sur son milieu. Tous ces éléments qui heurtent de la façon la plus simple, la plus anodine.
AleixPlademunt
Il y a aujourd’hui un grand mouvement en marche avec l’art de rue. C’est là peut-être que se joue le sens de notre temps : dans la ville, parce que notre monde devient et deviendra de plus en plus urbain ; sur les murs, parce que la vie des gens passe de plus en plus par des lieux publics, de rencontre ou de transport. Précaire, parce que tout dans notre monde, du travail aux objets, des sentiments aux contrats, devient fugace.
Sur ces murs, de grands artistes s’expriment, mêlant ainsi en un art nouveau celui de la peinture murale, éternelle depuis Lascaux, et celui du spectacle vivant, fugitif depuis les premières danses. Sur ces murs surgissent ainsi bien des chefs-d’œuvre de passage, dont la trace disparaît chaque nuit.
Parmi ces artistes, le travail d’Aleix Plademunt mérite qu’on s’y intéresse. Photographe catalan, il expose ici la série Nada, qui reprend un travail réalisé dans une dizaine de pays, de la Chine au Japon, des Etats-Unis à la Turquie, de la Grèce au Mexique. Il a installé dans des lieux publics de grandes toiles blanches avec, pour seule inscription, le mot Rien, dans la langue du pays, pour dénoncer, évidemment, la marchandisation de l’espace public et des mots.
Travail esthétique, en même temps que réflexion sur un des plus grands sujets de demain: un enjeu majeur de l’avenir sera en effet celui de la préservation et de l’extension des domaines de la gratuité, c’est-à-dire de la démocratie, face à l’envahissement du règne de la rareté, c’est-à-dire du marché. Et si le marché envahit tout, y compris l’espace public, l’espace gratuit, le vide-t-il de sens ? Ce qui renvoie à une autre question, plus générale encore : le marché est- il le règne du non- sens? Il est au moins celui de la réduction du sens à la valeur, et de la valeur au prix. Et de la réduction progressive de chaque chose, chaque geste, chaque sentiment, chaque être, au prix qu’on peut lui attacher. Au prix en monnaie; transférable, objectivisable, vide de sens propre.
C’est l’importance de ce travail que de nous faire réfléchir à ces deux questions fondamentales, celle de la valeur du marché et du prix des choses ; celle du sens et de la gratuité. Du sens de la gratuité. Y compris de celui de l’art.
Jacques Attali